Auteur/autrice : Michel Persitz
Boomer impénitent, parisien repenti, Marseillais relatif. J’ai exercé de nombreuses activités hétéroclites : élève dissipé, philosophe autodidacte, contestataire insubordonné, chauffeur poids-lourd, déménageur, cariste de nuit, garde du corps, traducteur anglais-français, scribe, créatif publicitaire, cinéaste éphémère, conseil en communication, écrivain intuitif, motard recousu, blogueur récidiviste, assistant d’artiste.
Just in time.
Les cendres de ma casserole
Et je frappe en silence sur ma casserole
Parce que le Soudan
Et je frappe sur ma casserole
Parce que Haïti
Et je frappe sur ma casserole
Parce que les femmes d’Iran
Et d’Afghanistan
Et les Yézidis
Et la République du Congo
Et le Burkina Faso
Et la Syrie
Et la Libye
Et d’autres encore
Djibouti
Les Comores
Les ateliers du Bangladesh
Et toutes celles et ceux que je ne veux
Que je ne peux
Que je ne dois pas oublier
Il y en a tant
Beaucoup m’échappent
Il m’en manque toujours
Alors, je frappe pour les oubliés
Les anonymes
Et les réfugiés
De partout les réfugiés
Peuple des sauve-qui-peut pour vivre
Ou tant pis, autant mourir
En mer, sur terre, à vous de voir
De toute façon, ce sera dans un désert peuplé de sourds
Mais ne pas attendre
Que ça se tasse
Que ça passe
Je frappe sur ma casserole
Parce que la Russie se croit toujours impériale et sainte
Je frappe sur ma casserole
Parce que l’Amérique se prend encore pour la patrie de Dieu et du bien
An offer you can’t refuse !
Ouvrez les yeux, peuples de crédules !
Je frappe sur ma casserole
Parce qu’en Israël
Des politiciens véreux et des fous intégristes
S’enfoncent dans l’obscurantisme comme des salafistes
Je frappe sur ma casserole
Parce que la Chine orgueilleuse
Se prend pour l’immuable Empire céleste
Je frappe sur ma casserole
Parce que les illusions maléfiques prolifèrent
Partout les vessies éteignent les lanternes
Et je frappe sur ma casserole
Parce que
Pendant que je tambourine
Les usines d’armement
Tournent à plein régime, nuit et jour
Canons, fusils, chars, avions
Missiles, grenades, mitraillettes, roquettes
Mines, drones
Munitions, calibre 11,43, calibre 9
Calibre 7,62, calibre 5,56
Les caisses forment des montagnes
Les montagnes remplissent des camions, des trains
Des navires bourrés jusqu’à la gueule
Des avalanches et des avalanches de dollars
Chaque balle fabriquée
Tôt ou tard
Ou plus tard encore
Sera tirée
Qu’importe quand, qu’importe où
Elle trouvera son destinataire
Un soldat de dix-huit ans
Un épicier, ta sœur
Ce petit garçon
Qui revenant de l’école
Passait par là
Je frappe sur ma casserole noire
Parce que l’eau manque
Les larmes aussi
Je cogne la nuit sur mon clavier
Et ce ne sont que des lettres mortes
Qui sortent
À peine écrits, mes mots se dessèchent
Mes phrases tombent en cendres de ma casserole
Sans faire de bruit.
M16. Dub Pistols, Ennio Morricone, Michael Jackson…
Le temps des noyaux.
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Soyez prévenus vieillards soyez prévenus chefs de famille le temps où vous donniez vos fils à la patrie comme on donne du pain aux pigeons ce temps-là ne reviendra plus prenez-en votre parti c’est fini le temps des cerises ne reviendra plus et le temps des noyaux non plus inutile de gémir allez plutôt dormir vous tombez de sommeil votre suaire est fraîchement repassé le marchand de sable va passer préparez vos mentonnières fermez vos paupières le marchand de gadoue va vous emporter c’est fini les trois mousquetaires voici le temps des égoutiers Lorsque avec un bon sourire dans le métropolitain poliment vous nous demandiez deux points ouvrez les guillemets descendez-vous à la prochaine jeune homme c’est de la guerre dont vous parliez mais vous ne nous ferez plus le coup du père Français non mon capitaine non monsieur un tel non papa non maman nous ne descendrons pas à la prochaine ou nous vous descendrons avant on vous foutra par la portière c’est plus pratique que le cimetière c’est plus gai plus vite fait c’est moins cher Quand vous tiriez à la courte paille c’était toujours le mousse qu’on bouffait mais le temps des joyeux naufrages est passé lorsque les amiraux tomberont à la mer ne comptez pas sur nous pour leur jeter la bouée à moins qu’elle ne soit en pierre ou en fer à repasser il faut en prendre votre parti le temps des vieux vieillards est fini Lorsque vous reveniez de la revue avec vos enfants sur vos épaules vous étiez saouls sans avoir rien bu et votre moelle épinière faisait la folle et la fière devant la caserne de la Pépinière vous travailliez de la crinière quand passaient les beaux cuirassiers et la musique militaire vous chatouillait de la tête aux pieds vous chatouillait et les enfants que vous portiez sur vos épaules vous les avez laissés glisser dans la boue tricolore dans la glaise des morts et vos épaules se sont voûtées il faut bien que jeunesse se passe vous l’avez laissée trépasser Hommes honorables et très estimés dans votre quartier vous vous rencontrez vous vous congratulez vous vous coagulez hélas hélas cher Monsieur Babylas j’avais trois fils et je les ai donnés à la patrie hélas hélas Cher Monsieur de mes deux moi je n’en ai donné que deux on fait ce qu’on peut ce que c’est que de nous… avez-vous toujours mal aux genoux et la larme à l’œil la fausse morve de deuil le crêpe au chapeau les pieds bien au chaud les couronnes mortuaires et l’ail dans le gigot vous souvenez-vous de l’avant-guerre les cuillères à absinthe les omnibus à chevaux les épingles à cheveux les retraites aux flambeaux ah que c’était beau c’était le bon temps Bouclez-la vieillards cessez de remuer votre langue morte entre vos dents de faux ivoire le temps des omnibus à cheveux le temps des épingles à chevaux ce temps-là ne reviendra plus à droite par quatre rassemblez vos vieux os le panier à salade le corbillard des riches est avancé fils de saint Louis montez au ciel la séance est terminée tout ce joli monde se retrouvera là-haut près du bon dieu des flics dans la cour du grand dépôt En arrière grand-père en arrière père et mère en arrière grands-pères en arrière vieux militaires en arrière les vieux aumôniers en arrière les vieilles aumônières la séance est terminée maintenant pour les enfants le spectacle va commencer. Jacques Prévert. Paroles. 1946 |
Rip, Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou. Pianiste, compositrice et nonne éthiopienne (1923-2023).
Des mélodies étranges, à la fois sophistiquées et proches du blues, immédiatement envoûtantes. Il n’existe hélàs qu’un seul CD dans la magnifique collection Éthiopiques. Un must. Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou sur wikipedia
The counselor. 1973. Cormac McCarthy-Ridley Scott.
“Actions create consequences which produce new worlds, and they’re all different. The world in which you seek to undo the mistakes that you made is different from the world where the mistakes were made. You are now at the crossing, and you want to choose, but there is no choosing there. There’s only accepting. The choosing was done a long time ago. »
« Les actions entraînent des conséquences qui produisent de nouveaux mondes, tous différents. Le monde dans lequel vous essayez de réparer les erreurs que vous avez commises est différent du monde dans lequel ces erreurs ont été commises. Vous vous trouvez maintenant à un carrefour, et vous voulez choisir, mais il n’y a plus de choix possible. Il ne reste que l’acceptation. Le choix a été fait il y a longtemps.«
« La dégradante obligation d’être de son temps. » Hannah Arendt
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Le naufrage du capitaine Volkonogov
Le Capitaine Volkonogov s’est échappé de Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov.
Cela aurait pu être un bon film. C’est un très mauvais film. Galvanisé ou enivré par ses outrances, le Capitaine Volkonokov n’échappe pas à l’égo anabolisé de ses auteurs. Il se dandine pendant deux heures sur 3 pieds sans savoir sur lequel danser : Fausse reconstitution d’époque – la terreur durant les purges staliniennes – ?Timide parabole sur la Russie d’aujourd’hui, mais sans l’assumer ? Lourde dystopie, inquisition et pays en ruines. Le tout enveloppé de considérations chrétiennes absurdes sur l’éventuelle possibilité d’une rédemption pour les tortionnaires repentis. Voilà pour le menu.
Les deux réalisateurs étouffent leur propre film à coups de : « T’as vu un peu mes décors ? T’as vu un peu mes costumes ? T’as vu un peu avec quelle audace je te filme ça en gros plan ? Y a pas que Ridley Scott pour filmer des scènes d’action ! » Ce n’est plus un film c’est une exhibition de foire. Un ours sur un petit vélo. À force de vouloir tout montrer de façon outrée, esthétisante et surtout sans le moindre mystère, cela devient de la pornographie. On en sort épuisé sans avoir rien appris, du moins si l’on savait déjà que Staline était un abominable dictateur et qu’une armée de tortionnaires à ses bottes torturait jusqu’aux aveux puis déportait ou exécutait sans relâche des centaines de milliers de braves gens, soupçonnés de manquer d’enthousiasme pour le régime. Entre 1937 et 1938, le NKVD a arrêté plus d’un million et demi de personnes, dont près de sept cent mille furent fusillées. Très vite, le spectateur assommé d’horreur et de scènes de violences en est réduit à se demander : « Le héros accablé par la culpabilité et le remord va-t-il réussir à obtenir le pardon qu’il espère trouver de la bouche d’un proche de ses victimes afin de ne pas errer pour l’éternité de l’autre côté des barrières du paradis ? » Attention divulgâchage : Non, il n’y aura pas de Chimène pour lui murmurer : » Va, je ne te hais point. » À ce stade, on a le droit de se demander ce qu’on fiche encore dans la salle et pourquoi on ne lit pas Vassili Grossman ou Varlan Chalamov au lieu de perdre son temps devant ce déballage grand-guignolesque.
P.S. : Il existe un roman d’anticipation russe, osant le parallèle manifeste entre la Russie de Poutine et la terreur stalinienne : La journée d’un opritchnik de Vladimir Sorokine. Bref, mais grand roman.
Une nuit particulière.
Roman de Grégoire Delacourt.
Peut-être qu’avec ce livre, Grégoire Delacourt sera enfin et sans ambiguïté arraché au sous-genre des tartufferies romanesques formatées « feelgood » dans lequel certains essaient encore de l’enfoncer.
La nuit particulière est un beau roman nocturne, car il faut beaucoup d’obscurité pour que brillent les étoiles. Elles sont deux à se partager le livre, Aurore et Simeone. Mais ce sont deux astres absents qui les embrasent et les consument : Olivier et Marie.
Grégoire Delacourt fait dire à Aurore : « Je me demande si on aime l’autre ou ce qu’il remplit de vide en nous. »
Un écho à la formule : « L’homme se compose de ce qu’il a et de ce qui lui manque » (Ortega y Gasset). Et c’est toujours ce qui nous manque qui importe le plus. Aurore et Simeone sont en grand manque. « Je suis encastrée en lui. » dit Aurore à propos d’Olivier. Sauf qu’une encastrée peut être désencastrée. De force. Et ça fait mal.
Lao Tseu enseigne : « Celui qui a inventé le bateau a aussi inventé le naufrage. »
En amour – pour connaître l’amour – il faut s’aventurer en haute mer et défier le naufrage. Sinon ce n’est que du cabotage. Badinage, chansonnettes : « Poussez, poussez l’escarpolette« , « Que je t’aime, que je t’aime ». Coquillages et crustacés, idylles, et vino spumante. Parfois des averses. Parfois un orage. Souvent quelques larmes. L’amour, le vrai, le grand, appelle le tragique.
La nuit particulière pourrait être sombre, pesante et sinistre. C’est une belle nuit. Une nuit étoilée. La beauté des tragédies est précisément qu’elles échappent au ridicule du dramatique. Grégoire Delacourt a écrit un brasero intense, sobre, aérien, porté par le souffle, avec l’espace pour des étincelles et quelques apnées. Du Schubert, vous dis-je.
Cela se passe en l’espace d’une nuit à Paris. Paris, ville lumière, longues marches, hôtel chic place Dauphine, bar cossu place des Vosges… Mais cela aurait pu être Clermont-Ferrand ou Roubaix. Moi, je me suis fait le film version Desplechin.
Lonnie ‘the Sand Man » Holley.
Artiste, peintre, musicien, éducateur. Lonnie Holley
Bref retour sur Le passager de Cormac McCarthy
Entendu sur France Culture, dimanche 19 mars, dans l’émission Signe des temps, un commentaire – de l’éditeur Olivier Cohen ?- associant l’œuvre de Cormac McCarthy, hantée par la question du mal, à celle de Herman Melville et la rapprochant de façon très judicieuse de celle de l’écrivain chilien Roberto Bolaño. Tout particulièrement, je pense de son phénoménal ultime roman posthume : 2666
« 2666 explore les rapports entre littérature et expérience, plusieurs manifestations de l’expérience : la solitude, l’amitié, l’amour, et, la plus étrange et la plus radicale de toutes, le mal. Il l’explore avec ironie, sans théorie ni résolution, par la grâce exclusive du récit. Bolaño semble avoir conté absolument tout ce que les phrases lui dictaient. Chaque récit est une aventure : une fresque infâme, délicate, grotesque, redondante, absurde, que découvrirait à la torche un enfant sur les parois d’une caverne dont il ne sortira plus. » Philippe Lançon dans Libération, le 20 mars 2008.