Le naufrage du capitaine Volkonogov

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Le Capitaine Volkonogov s’est échappé de Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov.

Cela aurait pu être un bon film. C’est un très mauvais film.  Galvanisé ou enivré par ses outrances, le Capitaine Volkonokov n’échappe pas à l’égo anabolisé de ses auteurs. Il se dandine pendant deux heures sur 3 pieds sans savoir sur lequel danser : Fausse reconstitution d’époque – la terreur durant les purges staliniennes – ?Timide parabole sur la Russie d’aujourd’hui, mais sans l’assumer ? Lourde dystopie, inquisition et pays en ruines. Le tout enveloppé de considérations chrétiennes absurdes sur l’éventuelle possibilité d’une rédemption pour les tortionnaires repentis. Voilà pour le menu.

Les deux réalisateurs étouffent leur propre film à coups de : « T’as vu un peu mes décors ? T’as vu un peu mes costumes ? T’as vu un peu avec quelle audace je te filme ça en gros plan ? Y a pas que Ridley Scott pour filmer des scènes d’action ! » Ce n’est plus un film c’est une exhibition de foire. Un ours sur un petit vélo. À force de vouloir tout montrer de façon outrée, esthétisante et surtout sans le moindre mystère, cela devient de la pornographie.  On en sort épuisé sans avoir rien appris, du moins si l’on savait déjà que Staline était un abominable dictateur et qu’une armée de tortionnaires à ses bottes torturait jusqu’aux aveux puis déportait ou exécutait sans relâche des centaines de milliers de braves gens, soupçonnés de manquer d’enthousiasme pour le régime. Entre 1937 et 1938, le NKVD a arrêté plus d’un million et demi de personnes, dont près de sept cent mille furent fusillées. Très vite, le spectateur assommé d’horreur et de scènes de violences en est réduit à se demander : « Le héros accablé par la culpabilité et le remord va-t-il réussir à obtenir le pardon qu’il espère trouver de la bouche d’un proche de ses victimes afin de ne pas errer pour l’éternité de l’autre côté des barrières du paradis ? » Attention divulgâchage : Non, il n’y aura pas de Chimène pour lui murmurer :  » Va, je ne te hais point. » À ce stade, on a le droit de se demander ce qu’on fiche encore dans la salle et pourquoi on ne lit pas Vassili Grossman ou Varlan Chalamov au lieu de perdre son temps devant ce déballage grand-guignolesque.

P.S. : Il existe un roman d’anticipation russe, osant le parallèle manifeste entre la Russie de Poutine et la terreur stalinienne : La journée d’un opritchnik de Vladimir Sorokine. Bref, mais grand roman.

Roman. Vladimir Sorokine

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Russe. Roman russe. Grand roman russe. Magistralement russe.

Pour comprendre un pays, un lieu, sa mémoire, son alchimie profonde, les raisons des conflits et tensions qui le traversent, sans avoir les yeux rivés sur l’actualité, avec pour seul recul les experts et les éditorialistes, je préfère me tourner vers les auteurs. Je cherche des livres. Le temps et le travail de la littérature. Mais pas seulement. Je veux savoir ce que racontent les auteurs et les artistes. Ceux qui chantent, dansent, filment, peignent, animent, font œuvre, donnent à leur lieu une chair et une âme. Les grands auteurs sont à la fois universels et indissociables de leur lieu, de son génie propre, de ses fantasmes, de ses démons, bref de sa culture. Vladimir Sorokine est de ceux-là.

« Tout dégoulinait à l’entour : l’étroit quai de bois, la balustrade, le banc, les branches des peupliers, nues et droites comme des épées, aux bourgeons gonflés sur le point d’éclore. Le train siffla de nouveau en prenant de la vitesse, la portière de fer claqua, les fenêtres tendues de stores défilèrent. Roman marcha jusqu’à la balustrade et posa une main gantée de daim gris sur le bois dont la peinture s’écaillait… »
Le roman de Vladimir Sorokine s’ouvre sur des pages marquées au coin de la grande littérature russe du XIXe siècle. Au fil du récit et de l’action, l’auteur revisite, tour à tour, Pouchkine, Tolstoï, Tourgueniev et bien d’autres. La Russie des profondeurs, intemporelle, apparaît riche, chaleureuse, drôle, émouvante, aimant le bon boire et le bien manger. La maestria de Sorokine est ici éblouissante. Mais imperceptiblement le tableau se déconstruit et emporte brutalement le héros vers un destin contemporain et un dénouement stupéfiant qui laisse le lecteur effaré. (Texte des Editions Verdier)

Roman. Vladimir Sorokine. Traduit du russe par Anne Coldefy-Faucard. Editions Verdier. 608 pages. 2010.