Étonnant, émouvant et corrosif à la fois.

Temps de lecture : < 1 minute

On ne se tape pas sur les cuisses en lisant Allouis. Son ironie est beaucoup plus subtile que cela. Il a l’œil de l’entomologiste et l’oreille de l’ornithologue. Le monde de ses personnages est absurde au moins autant que cruel. Au fil de la lecture, force est de reconnaître que nous vivons sur cette même planète et que nous ne sommes pas si différents de celles et ceux qu’il épingle dans ses brèves histoires adroitement ciselées. Vingt récits, autant d’incitations à ouvrir les yeux et se regarder dans le miroir avant d’incriminer un destin qui nous dépasse.
Jean Allouis cite Richard Brautigan en exergue de son livre, mais c’est souvent à l’humour particulier de Kurt Vonnegut que l’on peut penser. Voire à Marcel Aymé.
On dit que la nouvelle est un genre anglo-saxon, peut-être, mais depuis toujours de grands auteurs français s’y distinguent également. Ceux qui boudent la lecture de nouvelles pour ne lire que des romans se privent de bien des plaisirs.

Risibles. Jean Alllouis. Edité chez Librinova.

Triste tigre. Neige Sinno

Temps de lecture : < 1 minute

Ni sucres ni graisses. Riche en protéines et sels minéraux. Littérature à l’os. Essentiel. Recommandé pour l’éveil de tous.

« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil. »
René Char

Graphorrée.

Temps de lecture : 3 minutes

Graphorrée : subst. fém.« Impulsion irrésistible à écrire, en utilisant n’importe quel support, dans un but de démonstration, de libération ou par exaltation.

Thomas Wyck. A scholar. Circa 1660

Il y a des auteurs dont je sais immédiatement que ce qu’ils produisent n’est pas pour moi.
D’autres, m’inspirent un sentiment de prudence. Je ne suis pas tout à fait sûr de me sentir à l’aise ou de me plaire entre leurs pages. A priori, ce n’est pas mon type de littérature, mais je me dois d’être curieux et essayer de les lire tout de même.
Souvent cette défiance est idiote ou repose sur des préjugés stupides et une fois le livre en mains, j’y suis, j’y reste. Il faut toujours oser se frotter à ce qu’on ne connaît pas si l’on ne veut pas barboter dans un bain tiède.
Parfois, j’ouvre le livre d’un auteur redouté, comme je plongerais ma cuillère dans un plat inconnu, avec réserve. Finalement, même si ce n’est pas trop à mon goût, ça se lit. J’ai découvert quelque chose, c’était très intéressant, mais je n’en reprendrai pas.
Certains livres ou auteurs sont illisibles pour moi. Je ne comprends rien. Je n’ai pas le niveau requis. Je ne possède pas les clés pour les lire, et pour le peu que je capte, cela ne m’intéresse nullement. Je passe mon chemin. Ce ne sont pas les sources qui manquent.
Quelques auteurs, très réputés, très respectés, très honorés, même s’ils sont moins populaires qu’ils ne sont célèbres, m’agacent. Je n’arrive pas à rejoindre le club de leurs fans. J’achète un livre, il me tombe des mains. Ce ne devait pas être le bon livre ou bien c’est moi qui n’étais pas dans les bonnes dispositions. Le temps passe, il faut que j’en achète un autre. Deuxième essai. Pascal Quignard, puisqu’il s’agit de lui, est prolifique. Je note qu’il a écrit quelque chose comme 71 livres dont 32 figurent dans la collection Folio. C’est un puits de science. Une encyclopédie sans limites. Il a tout lu, il cite les auteurs classiques en grec, latin ou allemand. Ses connaissances englobent naturellement la littérature, la philosophie, la philologie, la poésie, l’histoire, la géographie, l’orient et l’occident, les femmes, la peinture, la musique, etc.
Récemment, à la télévision, son œuvre fut comparée à la Voie lactée, scintillant de ses 100 milliards d’étoiles, dans le ciel noir de nos ignorances. J’ai donc acquis son dernier bouquin. Le tome XII, d’une série d’ouvrages qui à terme doit comporter 14 volumes. C’est déjà programmé. Ce gars-là sait où il va.
J’ai parcouru les cent premières pages – c’est écrit gros, en chapitres courts -, et j’ai relevé tous les noms propres des personnages cités ou évoqués :

Impératrice Eugénie, Napoléon III, M. Lizan-Marmés, Jean de la Croix,
Père Alonso, Père Barthélémy, Alexandre le Grand, le Duc de Berry,
Saint Paul, Paul de Limbourg, Vincent de Beauvais, Agostino Inveges,
Carl von Linné, Héraclite, Fontenelle, Sophocle, Emily Dickinson,
Barbara Cassin, Jésus, Eugène Bourdin, François 1er,
François Nomé alias Monsù Désiderio, Elsheimer, Caravage,
Horace Vernet, Bach, Mendelsshon, Froberger, Messian,
Sainte Thérèse d’Avila, Spinoza, Dürer, Appelle, Terentius Varron, Hadrien, Hong Yingming, Jacqueline Pascal, Saint Evremond, Jacques Esprit, Blancheroche, Blaise Pascal, Vivaldi, Rameau, Haendel, Mozart, Chopin, Fauré, La Rochefoucauld, George Sand, Liszt, Charles VII, Agnès Sorel,
la Duchesse de Longueville, Xénophon, le Maréchal des logis Hérisson, Tacite, Sima Qian, Jules Michelet, Thucydide, Louis XI, Goya…

Encyclopédique, vous dis-je. Au fil de ces cent pages, j’ai trouvé quelques formules brèves et heureuses.

« Il est des femmes dont l’âme est une braise. »

« Toujours le commencement retarde sur l’élan. »

J’ai aussi trouvé aussi ces lignes qui me semblent résumer avec une lucidité cruelle la tragique impuissance de cet auteur face à sa graphorrhée.

« Arracher l’œuvre à son propre excès, au remplissage, ce fut le génie de Dürer. Ôter la main du dessin, tel le moment clé de l’art, disait Appelle. Arracher la vie au langage, déraciner l’expérience de la complétude symbolique. Soustraire l’existence à la logorrhée, au baratin, à la circulation sans fin des voix et des préceptes, à la meute, au verbum, au fourrage. »

Clinique de la dignité. Cynthia Fleury

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Cynthia est autant philosophe de thérapeute. Il faut donc comprendre « Clinique » comme une observation directe du sujet – dignité/indignité – par l’analyse étendue et en profondeur de ses manifestations dans différentes situations. Qu’est-ce que la dignité ? Qu’est-ce que l’indignité ? Qui la revendique ? Qui en est dépossédé ? Est-ce que cela se répare ? Où en est-on aujourd’hui ? C’est un sujet brûlant. Le livre est foisonnant et passionnant, mais peut-être d’une lecture un peu plus austère que son livre précédent, l’excellent « Ci-gît l’amer ». Pour ceux qui auraient besoin d’être encouragés : Cynthia chez Augustin Trapenard, à retrouver sur France 5, c’est ICI

Gordon & Abel : Encore ! On vous aime !

Temps de lecture : 2 minutes

Il y a des gens qui ne vont jamais au cirque, trouvent le mime ringard, la danse non plus, ce n’est pas leur truc. Ils ne rient jamais en regardant les films de Buster Keaton, ils dorment pendant ceux de Jacques Tati, bâillent devant ceux de Pierre Etaix et boudent ceux de Aki Kaurismäki. Alors le cinéma belge, ils ne savent même pas qu’il existe.

Ceux-là, les malheureux, passeront complètement à côté des précieux bijoux de Fiona Gordon, Dominique Abel et Bruno Romy, que l’on peut voir en ce moment en streaming sur la plateforme Mubi

Les autres pourront découvrir, voir et revoir : L’Iceberg, Rumba et cerise sur le pompon du gâteau : La Fée. Même le nom de leur société de production est formidable : Courage mon amour Films.

Quatre films indispensables sont réunis dans un coffret judicieux.

Il y a très longtemps que je n’avais pas autant ri en regardant un film. Autant ri et autant aimé les auteurs, les acteurs, le réalisateur. Parce que le cinéma de Gordon-Abel et Romy, c’est un cinéma précieux, qui tourne le dos au marketing et au box-office. Un cinéma généreux, audacieux, insolite, bourré d’idées et de trouvailles de toute nature, un cinéma rempli de tendresse pour le genre humain. Ces films qui retrouvent la rigueur millimétrée des grands classiques comiques du cinéma muet, sont aussi farfelus que pertinents, aussi louftingues que perspicaces. Bref, du jubilatoire, on aurait tort de s’en priver.

Après le mot « Fin », on a envie de crier « Encore » et « Je vous aime ! ».