Cristal.

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Catégorisé comme Musiques Étiqueté

Là-haut.

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Torrent de Prentiq. Valgaudemar.

Là-haut.

Au pays des pierres brisées, j’ai d’abord entendu le chant guerrier de l’eau jeune et sauvage.
L’impatiente qui dévale, bouscule, précipite.
A travers les arbres j’ai vu le torrent creusant sa ride sur le flanc de la montagne.
La montagne est impuissante contre l’eau.
La montagne forteresse condamnée cède du terrain.
La montagne bousculée, rongée, ravinée, rompue, concassée, se décompose, se fragmente.
Perd ses amas de roches,
coulées de blocs précipités les uns contre les autres,
masses éclatées, fendues par le gel.
Ici, les pierres affichent leurs blessures.
Témoignages muets de la violence des chocs.
Elles sont brutales, menaçantes, acérées, agressives, irrégulières, complexes.
Seuls quelques monolithes ont pu freiner leur débâcle.
Les voilà conglobés par leur pesanteur, formant un maladroit barrage dans le lit du torrent agile.
Désormais, ils se laissent polir, jusqu’à ce qu’une prochaine catastrophe les déloge pour les charrier plus bas.
Toujours plus bas.
Chaque morceau de minéral raconte sa dérive et son exil.
– J’étais une cime déchirant les nuages.
– J’étais une dent, un dard, une flèche défiant les vents
– J’étais imprenable, on m’a arraché à la face nord.

Ils ne remonteront jamais la pente.
Leur avenir est descente dans les profondeurs.
La mer engloutira les arrogantes altitudes.

Dans le torrent juvénile, on ne trouve pas encore ces vieux galets roulés, poncés, lissés.
Cailloux anonymes, oublieux de leur histoire, moignons cicatrisés, prêts à être lancés par des enfants pour faire des ronds dans l’eau,
beaucoup plus loin, quand le fougueux s’apaise en rivière.

Éjectés de la bataille aquatique, sur le chemin, dans l’ombre des résineux,
des moellons se sont couverts de moisissures or et bronze,
aussi de mousses duveteuses dans de riches tons de vert.
C’est le domaine d’élégantes fougères, dominant une confuse végétation de sous-bois dont de mystérieux insectes découpent les larges feuilles en napperons de dentelle.
Maladroitement dissimulés des champignons téméraires s’exposent.

Excepté le bruissement continu de l’eau sans repos,
là-haut, tout est silence du temps long au travail.

Pont des Oulles du Diable. La Navette.

La plume triomphe du couteau.

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C’est une histoire tranchante. Le couteau de Kamel Daoud, léger comme une plume, étincelle, vole, incise, découpe le lecteur fasciné pour le glisser dans la peau d’une jeune femme algérienne. Une rescapée des massacres de la guerre civile. Une mal égorgée, mutilée des cordes vocales, une survivante embarrassante même aphone. Sa voix intérieure est enflammée, inapaisée, accablée par l’islam. Une femme privée d’oxygène et de liberté, asphyxiée par les hommes et leur régime pathétique.
Cinq ans après le massacre de deux cent mille civils par les islamistes entre 1990 et 2000, le pouvoir a décidé de pardonner. Il n’y a qu’une seule guerre dont on doit se souvenir en Algérie : l’héroïque guerre d’indépendance contre la France. D’un coup de crayon, les égorgeurs barbus ont disparu, recyclés, transformés en inoffensifs cuisiniers. Des couteaux, toujours des couteaux et des millions d’agneaux. De toute façon, tout cela est la faute des femmes, leur impudeur maladive et leur insupportable insolence. En 2023, la lâcheté et l’oubli arrangent tout le monde en Algérie (et au-delà), sauf quelques rares victimes inconscientes qui osent encore questionner les imams, défier l’omerta et l’oubli. A leurs risques et périls.
La plongée dans le désert noir de l’Algérie est suffocante. L’amour pour Aube et sa minuscule houri est irrésistible. Quand on ne se blesse pas aux pages les plus acérées du livre on se brûle à ses chapitres les plus incandescents. Parfois, un roman d’amour peut faire cela.
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil. » René Char

Le père zen de la plage.

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Ce matin-là, à neuf heures, j’étais adossé à l’ombre de l’un des douze palmiers exilés sur la plage Borely, à la hauteur des Sept Portes de Jérusalem. Devant moi, la petite plage artificielle, courte étendue de fins graviers et de plus gros galets, commençait à disparaître sous les serviettes, les chaises pliantes, les corps caramel évanouis, quasi nus, offerts au soleil, les corps tanqués assis en grappe bavarde, les corps hésitants cherchant où se poser, les corps déjà abrutis de chaleur, se frayant un chemin au ralenti vers la flotte avant de revenir à peine rafraîchis. Corps de femmes, corps d’hommes, corps usés, fatigués, corps lourds, corps pudiques et corps exhibés, mais aussi, çà et là, des corps plus juvéniles, des corps insoucieux, sonores, s’ébattant dans un mètre d’eau, des corps enfantins, barbotant et gazouillant, équipés de disgracieux brassards gonflables jaunes. Beaucoup de corps sous le soleil ardant. Un haut-parleur rappelle que sont interdits : les animaux, le tabac, la chicha, l’alcool, les drogues de toute nature, les jeux de ballonn etc. La température de l’eau est de 25°, celle de l’air 27°.
Se dirigeant vers un espace réservé au stationnement des vélos, un triporteur électrique est apparu. À l’avant dans la caisse, j’ai distingué deux têtes de petites filles. Un homme jeune pédalait, que d’abord je ne vis que de dos. Le vélo-cargo disparut, masqué par les trois derniers palmiers de la file. Quelques minutes plus tard l’homme réapparut, escorté des deux fillettes, il portait au bras droit un troisième enfant en bas âge – un garçon ? – , au bras gauche un volumineux sac de plage et sur le dos un second sac bien rempli. Les joyeuses petites filles se déplaçaient en sautillant, comme c’est l’usage à cet âge. L’homme était grand et svelte, son visage me fit penser qu’il y avait en lui un héritage du sud-est asiatique. Le Vietnam ? Je lui donnais entre trente-cinq et quarante ans. En quelques instants un « campement » familial fut adroitement installé à deux pas de moi. Deux grandes serviettes furent déployées, quelques jouets sortirent du sac de plage, les petites filles se déchaussèrent, enlevèrent leur robe, apparurent dans de jolis maillots de bain, tandis que le père déshabillait le bébé, l’enduisait de crème, tendait le tube à l’aînée, puis des petites bouteilles d’eau. Tout cela dans le plus grand calme. Les petites, dont je compris que la plus grande, âgée de six ans, s’appelait Sélène et la cadette Linh, communiquaient tout comme leur père, sans jamais élever la voix. Elles reçurent la permission d’aller se baigner, à condition d’avoir toujours pied. L’eau était à quelques mètres à peine des serviettes et déjà largement occupée par une foule de barboteurs du premier au troisième âge. Le père les rejoignit portant le bébé coiffé d’un bob blanc. Il s’assit et joua avec le petit dans l’eau. La joie du bambin était visible, mais il ne poussa aucun cri. Les filles commencèrent alors à ramener sur leur serviette bleue – à défaut de coquillages – une sélection des plus beaux petits galets qu’elles trouvaient au fond de l’eau, des trésors luisants qui perdaient tout attrait une fois sec. Mais peu leur importait. Le plaisir était dans la quête.
J’avais l’impression de percevoir à travers la brume de chaleur une bulle de fraîcheur, de grâce et de sérénité, une oasis au milieu de l’ordinaire foisonnant d’une plage marseillaise populeuse où la promiscuité ne poussait pas aux rêveries poétiques. J’étais rempli de gratitude pour le spectacle auquel j’assistais, rempli d’admiration pour ce père apaisé, élégant, souriant, efficace en toutes choses. Avec ses trois enfants, tout semblait facile, naturel, léger, plaisant et surtout amusant. Alors que moi, ce matin là, assis seul au pied de mon palmier, à travers mes lunettes de soleil, assomé d’informations inutiles, je ne parvenais pas à m’extraire du chaos du monde, sombre, compliqué, pesant, inquiétant.

L’ikeatérature.

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« (…) When I teach creative writing, I always tell my students that a good story, by definition, has to be smarter than the person who wrote it. Because if it’s less smart, that means the writer wasn’t writing a story but assembling a piece of Ikea furniture.(…) » 
Etgar Keret

« (…) Lorsque j’enseigne la création littéraire, je dis toujours à mes étudiants qu’une bonne histoire, par définition, doit être plus intelligente que la personne qui l’a écrite. Car si elle est moins intelligente, cela signifie que l’auteur n’écrivait pas une histoire mais assemblait un meuble Ikea.(…) »
Etgar Keret