Roman de Grégoire Delacourt.
Peut-être qu’avec ce livre, Grégoire Delacourt sera enfin et sans ambiguïté arraché au sous-genre des tartufferies romanesques formatées « feelgood » dans lequel certains essaient encore de l’enfoncer.
La nuit particulière est un beau roman nocturne, car il faut beaucoup d’obscurité pour que brillent les étoiles. Elles sont deux à se partager le livre, Aurore et Simeone. Mais ce sont deux astres absents qui les embrasent et les consument : Olivier et Marie.
Grégoire Delacourt fait dire à Aurore : « Je me demande si on aime l’autre ou ce qu’il remplit de vide en nous. »
Un écho à la formule : « L’homme se compose de ce qu’il a et de ce qui lui manque » (Ortega y Gasset). Et c’est toujours ce qui nous manque qui importe le plus. Aurore et Simeone sont en grand manque. « Je suis encastrée en lui. » dit Aurore à propos d’Olivier. Sauf qu’une encastrée peut être désencastrée. De force. Et ça fait mal.
Lao Tseu enseigne : « Celui qui a inventé le bateau a aussi inventé le naufrage. »
En amour – pour connaître l’amour – il faut s’aventurer en haute mer et défier le naufrage. Sinon ce n’est que du cabotage. Badinage, chansonnettes : « Poussez, poussez l’escarpolette« , « Que je t’aime, que je t’aime ». Coquillages et crustacés, idylles, et vino spumante. Parfois des averses. Parfois un orage. Souvent quelques larmes. L’amour, le vrai, le grand, appelle le tragique.
La nuit particulière pourrait être sombre, pesante et sinistre. C’est une belle nuit. Une nuit étoilée. La beauté des tragédies est précisément qu’elles échappent au ridicule du dramatique. Grégoire Delacourt a écrit un brasero intense, sobre, aérien, porté par le souffle, avec l’espace pour des étincelles et quelques apnées. Du Schubert, vous dis-je.
Cela se passe en l’espace d’une nuit à Paris. Paris, ville lumière, longues marches, hôtel chic place Dauphine, bar cossu place des Vosges… Mais cela aurait pu être Clermont-Ferrand ou Roubaix. Moi, je me suis fait le film version Desplechin.