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Soyez prévenus vieillards soyez prévenus chefs de famille le temps où vous donniez vos fils à la patrie comme on donne du pain aux pigeons ce temps-là ne reviendra plus prenez-en votre parti c’est fini le temps des cerises ne reviendra plus et le temps des noyaux non plus inutile de gémir allez plutôt dormir vous tombez de sommeil votre suaire est fraîchement repassé le marchand de sable va passer préparez vos mentonnières fermez vos paupières le marchand de gadoue va vous emporter c’est fini les trois mousquetaires voici le temps des égoutiers Lorsque avec un bon sourire dans le métropolitain poliment vous nous demandiez deux points ouvrez les guillemets descendez-vous à la prochaine jeune homme c’est de la guerre dont vous parliez mais vous ne nous ferez plus le coup du père Français non mon capitaine non monsieur un tel non papa non maman nous ne descendrons pas à la prochaine ou nous vous descendrons avant on vous foutra par la portière c’est plus pratique que le cimetière c’est plus gai plus vite fait c’est moins cher Quand vous tiriez à la courte paille c’était toujours le mousse qu’on bouffait mais le temps des joyeux naufrages est passé lorsque les amiraux tomberont à la mer ne comptez pas sur nous pour leur jeter la bouée à moins qu’elle ne soit en pierre ou en fer à repasser il faut en prendre votre parti le temps des vieux vieillards est fini Lorsque vous reveniez de la revue avec vos enfants sur vos épaules vous étiez saouls sans avoir rien bu et votre moelle épinière faisait la folle et la fière devant la caserne de la Pépinière vous travailliez de la crinière quand passaient les beaux cuirassiers et la musique militaire vous chatouillait de la tête aux pieds vous chatouillait et les enfants que vous portiez sur vos épaules vous les avez laissés glisser dans la boue tricolore dans la glaise des morts et vos épaules se sont voûtées il faut bien que jeunesse se passe vous l’avez laissée trépasser Hommes honorables et très estimés dans votre quartier vous vous rencontrez vous vous congratulez vous vous coagulez hélas hélas cher Monsieur Babylas j’avais trois fils et je les ai donnés à la patrie hélas hélas Cher Monsieur de mes deux moi je n’en ai donné que deux on fait ce qu’on peut ce que c’est que de nous… avez-vous toujours mal aux genoux et la larme à l’œil la fausse morve de deuil le crêpe au chapeau les pieds bien au chaud les couronnes mortuaires et l’ail dans le gigot vous souvenez-vous de l’avant-guerre les cuillères à absinthe les omnibus à chevaux les épingles à cheveux les retraites aux flambeaux ah que c’était beau c’était le bon temps Bouclez-la vieillards cessez de remuer votre langue morte entre vos dents de faux ivoire le temps des omnibus à cheveux le temps des épingles à chevaux ce temps-là ne reviendra plus à droite par quatre rassemblez vos vieux os le panier à salade le corbillard des riches est avancé fils de saint Louis montez au ciel la séance est terminée tout ce joli monde se retrouvera là-haut près du bon dieu des flics dans la cour du grand dépôt En arrière grand-père en arrière père et mère en arrière grands-pères en arrière vieux militaires en arrière les vieux aumôniers en arrière les vieilles aumônières la séance est terminée maintenant pour les enfants le spectacle va commencer. Jacques Prévert. Paroles. 1946 |