Sur sa route.

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Quel voyage ! Magnifique dérive à travers le Mexique et bien au-delà.
Pour dire la vérité, malgré ses nombreux trésors naturels et culturels, le Mexique n’était pas une destination qui me fascine. Je ne suis pas très sensible au charme des cartes postales mexicaines, le folklore polychrome, la fête des morts, les pinatas, les resorts de bord de mer pour Américains, je me lasse vite des mariachis, des margharitas, du mezcal, des tacos, des tamales et des enchiladas, de la peinture de Frida Khalo, des histoires de peyotl, de chamanes, de sorciers Yakis et de zapatistes. J’ai horreur des narcos, des chansons narcocorridos, des federales, des milliers de disparitions et autant de féminicides chaque année. J’y suis allé une fois en touriste nanti, j’ai à peine gratté la surface, mais je n’ai jamais eu envie d’y retourner.
Et puis, j’ai dévoré d’un trait La Realidad de Neige Sinno. La Française Mexicaine ou la Mexicaine Française, selon l’endroit d’où on la regarde. Elle m’a emporté au Mexique, à la fois loin de moi-même et au plus profond de moi-même. Elle m’a entraîné comme une sœur, deux fois dans le sanctuaire zapatiste du Chiapas, à deux cents kilomètres de San Cristóbal de Las Casas; la seconde avec quarante-deux autres femmes descendues du Michoacán. Je n’ai jamais entendu battre le cœur et senti l’esprit d’autant de femmes autour de moi. Elle m’a déposé un soir aux pieds d’Antonin Couteau, Antonin Marteau, Antonin Artaud, poète en flammes, l’homme-cheval noir, son sang et les sept soleils. Elle m’a aussi lu dans le bus cahotant des pages inoubliables de Le Clezio (Le livre des fuites. 1969). Comme Jean-Marie Gustave, où que j’aille m’égarer dans le monde, je sais qu’aux yeux de celles et ceux qui vivent de la terre et qui ne le sont pas, je ne serais jamais ni indien, ni indigène, ni aborigène, ni même un autochtone, seulement un homme blanc, un mâle étranger venu d’un pays lointain, riche et puissant. Ce n’est pas vraiment une bénédiction, mais ce n’est pas non plus une malédiction, car libre à moi de ne pas m’en satisfaire. Je peux cheminer dans l’entre. Refuser de me restreindre, refuser d’appartenir à un clan, refuser même de m’appartenir. Rester errant. Toujours dans le déséquilibre de la marche. Toujours dans le désir d’apprendre, la volonté de comprendre, mais dans l’acceptation de l’imperfection, de l’inexorable approximation de ce qui reste insaisissable. Il y a dans ce chemin autant de tristesse que de joie. Autant de douleur que de plaisir. Cheminons sans crainte vers l’ailleurs. Cela peut s’écrire quand écrire est ce que l’on sait le mieux faire. Et l’écriture de Neige Sinno marche, enchaîne tours et détours, trace, sème, plante, éclaire. Lecteur, lis, avance, progresse !
En route vers La Realidad avec Neige Sinno, j’étais rempli des mots de Wajdi Mouawad dans sa formidable leçon inaugurale au Collège de France : « L’ombre en soi qui écrit ». Comment le vrai, n’est pas le réel. Comment le réel ne suffit pas. Comment l’exactitude n’est pas la vérité (Matisse). Comment, certaines choses – les plus précieuses et les plus belles assurément – doivent leur existence à l’effacement de la raison. On n’atteint jamais vraiment La Realidad. La Realidad n’est pas le bout du chemin et c’est tant mieux.

Madame Alice Develey, qui a certainement roulé sa bosse sur des sentiers autrement plus dangereux et escarpés que Neige Sinno, avant de devenir critique au Figaro Littéraire, a jugé que La Realidad, franchement c’était de la gnognotte pour oie blanche, elle a titré son papier : « La Realidad de Neige Sinno, un décevant Martine au Mexique. » Prends ça dans ta face, Neige !
Je n’ai pas dû lire le même livre.

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