Lapidation d’une humoriste .

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« Tout mon humour est basé sur la destruction et le désespoir. Si le monde entier était paisible, sans maladie ni violence, je serais dans la queue de la soupe populaire, juste derrière J. Edgar Hoover. »
Lenny Bruce

« Si je me parle à moi-même, c’est parce que je suis la seule personne dont j’accepte les réponses. »
George Carlin

Je ne sais plus qui expliquait il n’y a pas longtemps à la radio que selon lui dans le stand-up l’honneur exige d’aller jusqu’à la limite d’acceptation de son public, de la franchir, d’oser le pousser jusqu’au malaise qui force à réfléchir, sinon tu leurs sers la soupe.
Donc c’est dangereux le stand-up.
Il faut être fou, surtout à notre époque, pour crier « le roi est nu », gratter là où ça irrite, dire des vérités inacceptables, avouer l’inavouable. A visage découvert. En public. Cela exige de baisser la garde, d’avancer tout nu. Il faut que ceux et celles qui s’apprêtent à te lapider assument pleinement leur geste.
Ridiculiser Trump ou Poutine n’a rien de courageux quand on n’habite ni aux USA, ni en Russie. Ce qui est courageux c’est de mettre en évidence chez soi les hypocrisies des gens bien-pensants. Éclairer ce qui souhaite rester dans l’ombre. Dénoncer sans fin le silence des pantoufles. Parler à ses risques et péril. Sinon, on triomphe sans gloire.

Blanche Gardin est une des rares artistes du circuit qui pousse le bouchon aussi loin. C’est une femme intelligente, sensible et contrairement aux apparences, vulnérable. Une artiste courageuse qui défie sa fragilité, tout comme parfois la peur pousse à l’héroïsme parce que la honte de la lâcheté est pire encore que la peur du danger. Blanche Gardin traque tout ce qu’elle trouve de médiocre en elle d’abord, dans la société ensuite. Elle ne s’aime pas quand elle n’ose pas. C’est à son honneur. Blanche Gardin prend des risques. Beaucoup de risques. Parfois trop de risques.
Elle s’est déjà frottée aux excès de la bonne conscience trop facile des disciples du #me too et elle l’a payé cher. Elle a détaillé son refus de participer à la bassesse du monde d’Amazon et de Jeff Bezos en refusant un cachet, obscène à ses yeux, de 200 000 € pour une journée de travail. Elle a eu tort de « cracher dans la soupe ». Cela ne lui a pas valu que des coups de chapeau, au contraire, des volées de tweets. Les deux spectacles de Blanche Gardin qui figuraient sur Netflix ont été retirés il y a déjà quelques mois. Est-ce un hasard ? Se serait-on plaint ? Sur Netflix, les humoristes peuvent faire des vagues, mais des vagues calibrées.
Blanche Gardin n’est pas insensible à ce qui se passe dans le monde. Par exemple, elle a rempli le Zénith pour soutenir des associations défendant les mal-logés de France. Blanche Gardin n’est pas insensible non plus à l’horreur, aux horreurs qui se déroulent sous nos yeux au Moyen-Orient.
En juillet 2024, elle a participé à un meeting de soutien à la population gazaouie. Elle s’est prêtée avec Aymeric Lompret à un sketch risqué sur l’instrumentalisation de l’antisémitisme par les soutiens à la politique expansionniste d’Israël. Un vrai sujet pour une humoriste suicidaire car avec la montée incessante de la violence et des destructions massives dans ce conflit, les esprits s’échauffent et le débat sur le rapport entre antisionisme et antisémitisme devient de plus en plus explosif. De surcroît, si la définition de l’antisémitisme est simple – c’est la haine des Juifs-, par contre les définitions du sionisme varient selon les partis pris et les époques. De quel sionisme parle-t-on ? Lequel conteste-t-on ? Est-il encore possible aujourd’hui d’être antisioniste sans être antisémite ? Historiquement, les opposants au sionisme furent pourtant longtemps majoritaires au sein de la communauté juive. Désormais, l’association de tout opposant à la politique d’Israël à un dangereux antisémite niant le droit à l’existence d’Israël devient de plus en plus fréquente. Les raccourcis fusent. Tout désir de soutien aux Gazaouis, voire à la population palestinienne de Cisjordanie est suspect de « wokisme », de hamassisme, d’antisémitisme de gauche, de soumission aux Insoumis, de mélenchonisme, etc. Même au sein du judaïsme le débat devient difficile.
Le sketch de Blanche Gardin et Aymeric Lompret attaquait de façon provocante un sujet hautement sensible. « Depuis le 7 octobre, je suis antisémite » avoue Blanche Gardin d’une voix timide. Suit une sorte de confession de type alcoolique anonyme qui permettait de mettre en lumière la perversité de l’équation : puisque je suis antisioniste du moins tel qu’il se présente en Israël aujourd’hui, je suis forcément antisémite. Je n’ai pas assisté au meeting. J’ai seulement vu le sketch sur youTube. Ce n’était peut-être pas aussi clair, génial ou irréfutable qu’on aurait pu le souhaiter. Mais comme on dit, il n’y avait pas de quoi en faire un fromage.
Toujours est-il que huit mois plus tard (!), le 5 mars 2025, une journaliste du site Akadem (portail numérique du FSJU), Elishéva Gottfarstein, a jugé nécessaire de consacrer une chronique vidéo en forme de réquisitoire de 13 minutes contre Blanche Gardin sous le titre : « Blanche Gardin ou l’humanisme selon Dieudonné ». Développement en trois parties. Blanche Gardin dans le déni du 7 octobre 2023, Blanche Gardin antisioniste et enfin Blanche Gardin antisémite et pas antisémite « light », antisémite Dieudonniste ! Sans rentrer dans le détail, la charge est militante, de parti pris, caricaturale et de mauvaise foi. Le rapprochement entre Blanche Gardin et Dieudonné est particulièrement odieux. Contrairement à Dieudonné, Blanche Gardin n’est pas antisémite, elle n’a jamais été poursuivie ni condamnée à de multiples reprises pour incitations à la haine raciale ou religieuse, apologie du terrorisme, propos antisémites, négationnistes, révisionnistes, propos injurieux à l’égard des juifs victimes de l’Holocauste, etc. Blanche Gardin n’a jamais été proche d’Alain Soral, ni de Jean-Marie Le Pen, ni tenté des rapprochements avec des terroristes islamistes emprisonnés. Quelques images de Dieudonné dans lesquelles il présente Blanche Gardin tout comme lui victime de l’omerta juive, parachèvent cette « chronique » et laissent un mauvais goût de règlement de compte et de manipulation.
Blanche Gardin a déclaré être profondément blessée de ce portrait à charge qu’elle juge mensonger et diffamatoire. Mais ce qui la blesse bien plus encore que la mauvaise diatribe d’Elishéva Gottfarstein ou les messages haineux qu’elle reçoit sur X ou Facebook, c’est lorsqu’elle découvre que la rabbine Delphine Horvilleur a mis en ligne un lien vers ce réquisitoire sur son compte Facebook le 12 mars. Elle tombe de haut. Pas Delphine ! Pas elle !
Au lieu de s’adresser à Elishéva Gottfarstein et de réclamer un droit de réponse à Akadem, Gardin écrit sur Facebook une lettre ouverte à Horvilleur, un texte sans doute parfois maladroit, mais bouleversant de sincérité, dans lequel elle fait part de son admiration pour Delphine Horvilleur et l’humanisme précieux qui éclaire ses livres. Elle affirme une fois de plus que l’antisémitisme comme le racisme, lui a toujours été odieux et elle demande avec une grande humilité à Delphine Horvilleur de supprimer le lien vers le réquisitoire infamant du site Akadem. Ce à quoi Delphine Horvilleur répond non pas en supprimant le lien, mais en le renouvelant, assorti de félicitations à Elishéva Gottfarstein pour sa chronique : « … explication parfaite de la Dieudonnite contractée par Gardin (sic), et malheureusement par beaucoup d’autres ».
Gardin reçoit donc une seconde gifle bien plus douloureuse que la première. Etonnant de la part de quelqu’un, Delphine Horvilleur, dont l’écoute, la hauteur de vue, le dialogue et la compassion, salués par Gardin, constituent l’essentiel du métier. Si elle a un minimum de connaissances du travail de Blanche Gardin, Delphine Horvilleur peut-elle sérieusement la soupçonner de « Dieudionnite  » ?
La confrontation des deux femmes sollicite désormais l’intérêt des médias. Le Figaro, Le Point, La Croix, Libération, Le Parisien, etc. y consacrent des articles, en général très prudents. Delphine Horvilleur publie dans Tenou’a (sa revue) une longue réponse à Blanche Gardin, sous le titre « Mon Pourim avec Blanche ». Et c’est une troisième gifle. Un nouveau procès de Gardin qui s’ouvre. Non pas celui de son antisémitisme supposé, dont Delphine Horvilleur, veut bien à la rigueur l’exonérer, mais de son irresponsabilité à : « mettre en avant une instrumentalisation de l’antisémitisme par des Juifs sans jamais rappeler avec force la terrible réalité dans notre pays de cette haine qui a tué des enfants, menacé physiquement tant d’autres et pousse des milliers de citoyens à vivre cachés ou dans la peur… Ne pas percevoir combien votre parole – qui n’est pas antisémite – crée de désinhibition d’autres paroles tout à fait antisémites qui inondent vos commentaires, et ma messagerie. Ne pas percevoir ce que votre solidarité avec des collectifs antisionistes qui jouent si souvent de la rhétorique antisémite traditionnelle ou se réjouissent de massacres de Juifs, a de problématique… Voilà ce que la “non-antisémite” que vous êtes doit interroger, avec l’honnêteté que je n’oserais vous nier. « 
C’est lourd.
Blanche Gardin est donc coupable de ne pas livrer en stand up, une analyse argumentée, éclairée et pondérée des relations entre antisionisme et antisémitisme, coupable de permettre à des opinions antisémites de s’exprimer de façon désinhibée (mais comment s’exprimaient-elles donc avant que Blanche Gardin les désinhibe ?), coupable de manifester sa solidarité envers les Gazaouis au travers de collectifs suspects.
Du coup, je me demande si le mot « solidarité » n’est pas lui-même équivoque ? Il n’y aurait pas de solidarité innocente possible avec les Palestiniens ? Les manifestations de solidarité avec des « collectifs sionistes » soutenant un gouvernement clairement coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ne seraient-elles pas plus problématique ?
Blanche Gardin est surtout coupable aux yeux de Horvilleur d’utiliser l’humour pour aborder, un sujet trop sensible, ce qui est précisément à l’instar de Lenny Bruce ou de Pierre Desproges, le cœur de son talent. Bref, elle serait coupable de tenter de réveiller ce qui nous reste d’intelligence pour penser par nous-mêmes.
Delphine Horvilleur d’asséner encore un élégant :  » Je me fiche de savoir si vous êtes antisémite ou absolument pas ». Ce qui lui importe c’est de savoir comment Gardin lutte contre l’antisémitisme. Est-ce avec la même force et la même conviction que son engagement dans le « combat pro-palestinien »(sic) ? La compassion ou la solidarité ressentie avec les victimes civiles de bombardements intensifs, l’aspiration à un cessez-le-feu, sont donc assimilées par Delphine Horvilleur à un « combat pro-palestinien » au détriment de tous les Juifs du monde qui eux souffrent d’antisémitisme.
Pour tout dire, si Blanche Gardin a peut-être manqué d’inspiration avec ce sketch qui n’a à mes yeux rien d’équivoque ni de condamnable, par contre le lynchage orchestré par Akadem est infamant et la prise de parole de Delphine Horvilleur, coincée et repliée pour ne pas dire « communautariste », » est indigne de ce que ses livres permettaient d’attendre d’elle dans de telles circonstances.>
– Les temps sont sombres. L’humeur est sinistre. Qu’on lapide une humoriste ! Cela soulage.
Michel Persitz

Oy vaï iz mir !

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Enchâssé entre deux magnifiques poèmes, de Mahmoud Darwich et Yehuda Amichaï, c’est un petit livre de conversations.
Une dizaine. Des conversations précieuses, des conversations quasi impossibles. Franches, belles et graves comme on rêve de pouvoir en tenir. Les yeux dans les yeux, la main tendue et ouverte, avec un léger tremblement dans la voix, celui du risque de l’imprudence, quand on ne prend pas le temps d’envelopper ses mots pour dissimuler son trouble et des émotions contradictoires.
Des conversations intimes, courageuses, confiantes, légères et inquiètes à la fois, où l’humour accompagne pas à pas la résistance au désespoir. Des conversations offertes et qui font du bien à celui qui veut bien les entendre.
Un petit livre tout aussi précieux et lumineux que, parmi ses livres précédents : Réflexions sur la question antisémite et Vivre avec nos morts.

Sous la flamme olympique, la cendre.

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Pierre de Coubertin, influenceur sportif :

« Pour le timide, le faible, l’indolent, la vie n’est pas tenable : dans cette bousculade de l’existence, ceux-là sont refoulés, renversés, piétinés : on les écarte, ils ne sont qu’une entrave. Nulle part la sélection n’est plus impitoyable. Il y a deux races distinctes : celle au regard franc, aux muscles forts, à la démarche assurée et celle des maladifs, à la mine résignée et humble, à l’air vaincu. Hé bien ! C’est dans les collèges comme dans le monde : les faibles sont écartés, le bénéfice de cette éducation n’est appréciable qu’aux forts »
Pierre de Coubertin. L’éducation anglaise. 1887

« Dès les premiers jours, j’étais un colonialiste fanatique… Les races sont de valeur différente, et à la race blanche, d’essence supérieure, toutes les autres doivent faire allégeance. (…) Ce n’est pas sur le Rhin, c’est sur le Niger et le Mékong que se trouve la grandeur de la France »
Pierre de Coubertin. Mémoires.

« Une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte. Le véritable héros olympique est, à mes yeux, l’adulte mâle individuel. Les JO doivent être réservés aux hommes, le rôle des femmes devrait être avant tout de couronner les vainqueurs.»
Pierre de Coubertin, Jeux olympiques de 1912,

« (…) la haute finance israélite a pris, à Paris, une influence beaucoup trop forte pour ne pas être dangereuse (…) elle a amené, par l’absence de scrupule qui la caractérise, un abaissement du sens moral et une diffusion de pratiques corrompues.”  
Pierre de Coubertin. L’évolution française sous la Troisième République. 1896

À l’issue des Jeux de Berlin de 1936, Pierre de Coubertin estime que « l’idéal olympique a été magnifiquement servi » (sic). « Que le peuple allemand et son chef soient remerciés pour ce qu’ils viennent d’accomplir. » En retour, Hitler le propose pour le prix Nobel de la paix. Mais celui-ci est décerné à un Allemand, antinazi notoire, Carl von Ossietzky.

Toutefois, « on s’autorise à penser dans les milieux autorisés » (comme disait Coluche)  que le baron fut peut-être moins réactionnaire et antisémite que ses successeurs, Edström, Brundage, Samaranch, Rogge… La corruption du CIO, c’est une autre histoire.

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