Là-haut.

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Torrent de Prentiq. Valgaudemar.

Là-haut.

Au pays des pierres brisées, j’ai d’abord entendu le chant guerrier de l’eau jeune et sauvage.
L’impatiente qui dévale, bouscule, précipite.
A travers les arbres j’ai vu le torrent creusant sa ride sur le flanc de la montagne.
La montagne est impuissante contre l’eau.
La montagne forteresse condamnée cède du terrain.
La montagne bousculée, rongée, ravinée, rompue, concassée, se décompose, se fragmente.
Perd ses amas de roches,
coulées de blocs précipités les uns contre les autres,
masses éclatées, fendues par le gel.
Ici, les pierres affichent leurs blessures.
Témoignages muets de la violence des chocs.
Elles sont brutales, menaçantes, acérées, agressives, irrégulières, complexes.
Seuls quelques monolithes ont pu freiner leur débâcle.
Les voilà conglobés par leur pesanteur, formant un maladroit barrage dans le lit du torrent agile.
Désormais, ils se laissent polir, jusqu’à ce qu’une prochaine catastrophe les déloge pour les charrier plus bas.
Toujours plus bas.
Chaque morceau de minéral raconte sa dérive et son exil.
– J’étais une cime déchirant les nuages.
– J’étais une dent, un dard, une flèche défiant les vents
– J’étais imprenable, on m’a arraché à la face nord.

Ils ne remonteront jamais la pente.
Leur avenir est descente dans les profondeurs.
La mer engloutira les arrogantes altitudes.

Dans le torrent juvénile, on ne trouve pas encore ces vieux galets roulés, poncés, lissés.
Cailloux anonymes, oublieux de leur histoire, moignons cicatrisés, prêts à être lancés par des enfants pour faire des ronds dans l’eau,
beaucoup plus loin, quand le fougueux s’apaise en rivière.

Éjectés de la bataille aquatique, sur le chemin, dans l’ombre des résineux,
des moellons se sont couverts de moisissures or et bronze,
aussi de mousses duveteuses dans de riches tons de vert.
C’est le domaine d’élégantes fougères, dominant une confuse végétation de sous-bois dont de mystérieux insectes découpent les larges feuilles en napperons de dentelle.
Maladroitement dissimulés des champignons téméraires s’exposent.

Excepté le bruissement continu de l’eau sans repos,
là-haut, tout est silence du temps long au travail.

Pont des Oulles du Diable. La Navette.

Par Michel Persitz

Boomer impénitent, parisien repenti, Marseillais relatif. J’ai exercé de nombreuses activités hétéroclites : élève dissipé, philosophe autodidacte, contestataire insubordonné, chauffeur poids-lourd, déménageur, cariste de nuit, garde du corps, traducteur anglais-français, scribe, créatif publicitaire, cinéaste éphémère, conseil en communication, écrivain intuitif, motard recousu, blogueur récidiviste, assistant d’artiste.