Jubilation sur deux roues
Extrait de Qui a peur du vide ?
Ciel très haut, stratosphérique, bleu acidulé métallique. Nuages sans épaisseur, lambeaux de tarlatane. Luminosité polaire. Température : 8 °C. Vent violent, humeur sujette à bourrasques.
Une fois lancé, il faut sans cesse négocier le cap en cherchant un point d’équilibre, entre la violence des rafales, la vitesse et le poids de la moto.
Heureusement qu’il y a des autoroutes pour fuir à vive allure les environs dévastés des villes. Un monde périphérique d’automarchés, dépôts de matériaux de construction, location d'engins de chantier, marchands de piscines en plastique, cuisines en kit, électroménager discounté, meubles en promotion et matelas en tous genres, centres commerciaux avec restaurants chinois géants, bureaux à louer.
Il me faut une demi-heure pour m’en dégager. Les voies s’éclaircissent, de grands échangeurs dispersent le trafic, les sorties se raréfient, l’allure générale se stabilise à la vitesse autorisée. Ceux qui s’éloignent de plus en plus ont une longue route à faire, les régulateurs de vitesse sont au travail.
Perdu dans mes pensées, je manque dépasser la sortie prévue, à peine signalée à l’extrémité d’une zone confuse de parking et pesage pour poids lourds. Je m’engage sur le réseau secondaire en direction de l’Ouest. La route à deux voies traverse d’immenses étendues de collines paresseuses battues par le vent où le rocher affleure toujours sous l’herbe jaune. Chaque panorama de monticules une fois dépassé en révèle un autre avec sa longue houle de mamelons analogues. Quelques replis de terrain abrités – de simples cuvettes plutôt que de véritables vallons, se transforment en oasis-refuge pour des boqueteaux chétifs ou encore retiennent des étangs recouverts d’une inquiétante mousse de spirogyres fluorescents. Tout semble désert, tout est enclos. D’immenses pâtures sont clôturées par des kilomètres de fil de fer barbelé. La plupart sont vides. D’autres sont constellées de petits points noirs immobiles mais affairés, les bovins.
(...)
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