Ma mère, Leni, la Häftling tatouée N° 78.738, contestait l’emploi des mots « libération d’Auschwitz » à chaque commémoration.
Ce fut son dernier combat. Un devoir. Elle l’a mené pendant 60 ans, jusqu’à sa mort en 2005. Pendant des années, elle a écrit avec détermination des lettres aux journaux et aux institutions mémorielles. Elle a raconté qui elle était, fourni son numéro matricule, indiqué des dates, nommé des lieux, témoigné de ce qu’elle avait vu et même noté. Ce qu’elle savait pour l’avoir vécu. Elle donnait des preuves, elle citait des témoignages incontestables. Personne ne pouvait prétendre avoir « libéré » Auschwitz-Birkenau. Elle dénonçait un mensonge international et consensuel. Un mensonge qui arrangeait tout le monde, un mensonge qui permettait aux Alliés de commémorer la « libération d’Auschwitz » avec la conscience tranquille. Ce que l’on racontait aux enfants n’était pas la vérité. Ce qui se passait à Auschwitz était connu, mais n’a jamais constitué une priorité pour les Alliés. Auschwitz n’a été « libéré » par personne. La guerre avait d’autres urgences. Les Juifs attendraient. Quand les soldats de l’Armée Rouge ont atteint Oswiecim, ils ignoraient ce qu’ils allaient découvrir. Ils n’avaient reçu aucune consigne (Ceci est confirmé par les mémoires du Gl. Petrenko lui-même, dit « le libérateur d’Auschwitz » ).
Auschwitz a été abandonné par ses gardiens et ses kapos. La température mi-janvier 1945 était de – 25°. Il ne restait plus dans le camp que des agonisants et des malades intransportables. Le camp avait déjà été vidé et évacué par tous ceux qui étaient encore en état de voyager ou de marcher. 50 000 personnes environ. Leni avait surtout marché, en longue colonne de femmes, puis en wagons à bestiaux découverts pour contourner Berlin, et ainsi de suite, 1 300 km vers le Nord, jusqu’à Ravensbrück d’abord, puis Malchow, toujours dans le Mecklembourg. Et leur marche de la mort s’arrêta enfin lorsqu’elles furent abandonnées sans eau et sans nourriture par leurs gardes SS et rattrapées par l’Armée Rouge.
Pour la première fois, aujourd’hui, je lis dans Le Monde les mots : « commémoration de l’ouverture d’Auschwitz » au lieu de « libération ».
Leni a gagné.
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